Tome 1 : Le T'Sank

Alexis Flamand signe ici son premier roman, introductif du cycle d'Alamänder, dont on attend le second tome au premier trimestre 2009. Publié par une jeune maison d’édition, ce récit s’annonçait riche en changements, à la fois dans le ton et l’univers, aussi pouvions-nous nous interroger sur sa contenance : véritable nouveauté ? Produit archétypal ? Récit à mi-chemin entre ces deux tendances ?

Avant tout, notons l’imagination fertile de l’auteur : pour ce roman, Alexis Flamand ne cherche pas le classique, en présentant un monde au bord du gouffre et assailli par un bestiaire revu, mais bien la nouveauté. À la fois dans la forme, qui mêle allègrement passages humoristiques et phases narratives sérieuses, mais aussi dans le fond, ce tome souhaite se distinguer.

Car en Alamänder, les choses ne se passent jamais selon un schéma traditionnel. Là où nous attendions une quête initiatique, on nous propose un véritable parcours du combattant où nos héros se voient confrontés à des épis carnivores, des poulpes varappeurs, de fourbes champignons et autres créatures. Nous ne le dirons pas assez : l’auteur ne décrit pas des mécanismes convenus mais des concepts très intéressants, huilés comme il se doit, cohérents et fichtrement bien pensés.

En effet, Alexis Flamand marie la fantasy burlesque à une fantasy plus sérieuse, pointilleuse, notamment dans la construction cosmogonique, architecturale et organique. Aux chapitres décalés s’alternent des explications étayées jusqu’à frôler la sphère scientifique pour constituer une cohésion générale. Tous les aspects se voient travaillés : à la fois la végétation qui s’édifie sous forme de croisements moléculaires, avec une hiérarchie dans les fonctions végétales, mais aussi pour le panthéon (nous retiendrons une conversation entre Dieux particulièrement savoureuse, dont pourraient pâlir de jalousie nos voisins anglophones !), le système politique et, surtout, magique.

Illustrons ces paroles avec un simple exemple ; quand on évoque le burlesque, on se raccroche aussitôt à Terry Pratchett et Douglas Adams, dans leur registre respectif, or faire de l’ombre à ces écrivains semble bien présomptueux ! Pourtant Alexis Flamand force la comparaison en proposant nombre d’inventions loufoques ou baroques, telle une capitale dont les règles de bienséance et les modes de pensée ne seront pas sans surprendre.
Sans être au paroxysme de l’inventivité, ces multiples ajouts bâtissent un livre-univers comme on n’en avait pas lu depuis longtemps. Oubliez poncifs, héros investis de sauver le monde et autres supports traditionnels, l’auteur nous peint un tableau où la violence embrasse l’humour, où on rit et fronce les sourcils et où les nuances de gris, malgré un ton qui tend à adoucir ces propos souvent sombres, prédominent. Car certes, un sourire viendra souvent éclairer votre visage, mais sous des apparences légères se dessinent aussi plusieurs thèmes adultes. A la manière d’un Pratchett, toujours habile quand il s’agit de ridiculiser le quotidien à travers le prisme de la fantasy, l’auteur décrit une administration retorde, obscure, manipulatrice et paperassière, propose une réflexion sur la notion de providence, pour finalement mêler l’utile à l’agréable. Le pari semble réussi de ce côté-là !

Pour soutenir ces bases, le livre offre un scénario agréable, quoique linéaire selon les chapitres, avec une variété des points de vue appréciable. Tantôt projeté aux côtés d'un Maek qui souhaite rallier l’école T’Sank, célèbre pour former des assassins, tantôt propulsé vers un Jonas Alamänder, questeur voulant plaider sa cause auprès du roi suite à une expropriation, nous n’aurons pas le temps de nous ennuyer !
Si on peine encore à lier tous les fils de l’intrigue, on ne se lasse pourtant pas tant notre intérêt se voit stimulé par les révélations, retournements de situation ou chutes incisives. La fin beaucoup plus axée sur l’enquête policière pourrait sembler longuette mais ne doutons pas que Le Mehnzotain, second tome du cycle, démarrera sur les chapeaux de roue !

Autour des deux protagonistes principaux orbitent plusieurs perles, de l’improbable Retzel au délateur Ernst, en passant par la téméraire Vance et l’effroyable Akir. Vous l’aurez compris, on nous présente là une palette d’avatars qui satisfera tous les penchants. On pourrait regretter la discrétion de certains personnages mais, dans l’ensemble, tous sont dotés de défauts comme de qualités, en un mot : humains (si cet adjectif peut convenir à un monde aussi farfelu !)

Les protagonistes se succèdent ainsi avec fluidité, servis par une plume tout à fait satisfaisante, et nous ne pouvons que nous languir en attendant la suite. Ajoutez à cela des clins d’œil qui ne grèvent pas le récit, nous offrant un bel hommage à des virtuoses comme Vance, Leiber ou Lovecraft, des notes en début de chapitres qui enrichissent encore le background, et vous obtiendrez une fantasy française au meilleur de sa forme.

Note finale : 8/10 - Sahagiel pour le site Utopie