Tome 3 : La Nef Céleste

La Nef Céleste est le troisième et dernier volume du Cycle d’Alamänder d’Alexis Flamand, sorti le 18 Mai 2018. Pour rappel,  il s’agit d’une réédition chez LEHA du cycle qui était paru il y a quelques années en cinq volumes aux éditions de L’Homme Sans Nom. Ou plutôt qui aurait dû contenir 5 volumes car, malheureusement, le cinquième n’est jamais sorti et le Cycle n’a pu se terminer. LEHA offre ainsi à l’auteur l’occasion de voir enfin son cycle être publié au complet, et aux lecteurs d’avoir sa conclusion. Ce troisième tome est donc en grande partie un inédit. Et autant le dire tout de suite, cette fin est absolument essentielle au cycle car elle lui donne un tout autre sens.

Les précédents volumes, La Porte des Abysses et La Citadelle de Nacre, entraînaient le lecteur dans un univers de light fantasy (fantasy humoristique) très original et cohérent du point de vue de la création de monde, de la présentation détaillée de la faune et de la flore du continent d’Alamänder, de personnages haut en couleur et de situations loufoques. J’avoue que j’avais été un peu critique sur le cycle. Tout d’abord parce que le problème de la light fantasy est que l’humour, ça marche ou pas. J’avais beaucoup ri de certains gags et situations, moins d’autres. Notamment, le personnage du démon Retzel, qui accompagne Jon le héros de l’histoire et apparaît comme un des préférés des lecteurs si on en croit les nombreuses critiques qu’on lit ça et là, m’avait un peu lassé par ses interventions incessantes, potaches, et souvent pénibles. Dans l’ensemble, j’avais toutefois beaucoup apprécié la lecture de La Porte des Abysses, pour la richesse de son univers, un humour érudit bien senti, et une description poétique et scientifique de la magie.  J’avais par contre été déçu par le second tome, La Citadelle de Nacre, essentiellement en raison de problèmes de rythme dus au redécoupage des 5 tomes en 3. J’y avais trouvé des longueurs, et éprouvé un certain ennui face à l’éparpillement de l’action à travers trop d’arcs narratifs différents, et la relégation au second plan des personnages principaux. Ce second volume se terminait toutefois sur l’arrivée des personnages dans la fabuleuse cité d’YArkhan, et relançait mon intérêt.

Et arrive le troisième tome. Et là, la claque !

Edrik, je te  présente Akir, le Dieu des Ténèbres. Nous nous apprêtions justement à le suivre jusqu’en Enfer.

La Nef Céleste reprend le récit exactement là où La Citadelle de Nacre l’avait laissé. On y retrouve Jonas Alamänder, Jon, l’enquêteur thaumaturgique, accompagné du Prince Edrick Dernessar de Kung-Bohr et de M’Bow l’ingénieur. Ils ont tous survécu au champ de blé carnivore qui ne cesse de s’étendre sur le continent, et sont entrés avec l’aide de Lia la pilote dans la cité. Kung-Bohr a été largement ravagée par la guerre et la cité de Ker-Fresnel n’est plus. Dès leur arrivée dans la cité, Jon va apprendre la raison de son invitation à y venir : enquêter sur un vol inexplicable, commis dans la plus riche bibliothèque magique d’YArkhan. La première bonne surprise est que l’on retrouve enfin Jon au premier plan du récit. Alors qu’il était effacé dans le second volume, il prend les choses en main, devient actif et mène l’action. Le monde d’Alamänder étant pris dans une guerre entre différentes factions, et plus généralement dans le conflit millénaire entre le dieu blanc Magni et le dieu sombre Akir, la situation à YArkhan va rapidement dégénérer et le conflit va arriver aux portes de la cité. D’autant que le terrible maître assassin T’sang Maek est déjà dans les murs. Jon et Maek, dont on sait qu’ils sont les deux hempés (« Non pas des dieux, bien au contraire ») vont enfin se rencontrer. Deuxième surprise et de taille, on quitte alors Alamänder ! Pour aller où ? me demanderez-vous. Je ne peux pas vous le dire. Au passage, on y retrouve l’amour d’Alexis Flamand pour les biologies exotiques. On va en apprendre sur Maek qui n’est pas tout à fait celui qu’on imaginait, sur le monde qui est plus complexe qu’on ne le pensait. Dès ce moment, les choses prennent une tournure différente. L’humour qui caractérisait jusqu’alors le cycle marque le pas et le ton devient progressivement plus sombre. On commence à sentir qu’une ombre plane quelque part, on ne sait encore trop où.

Puis tout à coup, un peu avant la moitié du livre, sans prévenir, tout s’effondre.

Tout ce que vous pensiez savoir sur Alamänder, ses habitants, sa magie, son histoire, ses dieux, est remis en cause. Je ne peux évidemment rien en dire, pas même un soupçon d’indice. Tout juste qu’à partir de l’immense révélation qui est faite à Jon par Maek, ce qu’on pensait être un cycle de light fantasy devient un roman de science fiction plus sombre qu’on aurait pu l’imaginer. C’est même assez cruel. Ce twist est monumental. On ne le voit évidemment pas venir, et l’amplitude du séisme est dévastatrice. Je ne peux que saluer le courage et la créativité d’Alexis Flamand qui décide après quelque 1400 pages dans son cycle de retourner la table et de proposer au lecteur un tout autre roman. J’ai été totalement bluffé. Les enjeux sont énormes, et même le sense of wonderpointe son nez.

Ce dernier volet du cycle est évidemment surprenant, et magistralement exécuté. Le rythme est soutenu et il est véritablement difficile de le lâcher. D’ailleurs, j’ai lu les 700 pages en deux jours. Si d’autres romans ont utilisé ce type de révélations et de retournements, je pense notamment à un certain roman publié en 1968, Alexis Flamand fait ici les choses en beaucoup plus grand. Malgré une forte envie de tout vous raconter, je ne peux rien en dire de plus, ce serait gâcher. La fin est fine et intelligente. Dans la Postface, Alexis Flamand écrit : « Mais Alamänder n’est pas qu’une suite d’aventures saugrenues. C’est une fable sur le pouvoir. »

En conclusion, le Cycle d’Alamäner est un long cycle de près de 1800 pages, qui débute comme une light fantasy pleine d’inventivité et d’émerveillement, d’humour parfois très fin et parfois potache, qui comporte en son sein certaines longueurs, mais qui offre un twist très élaboré et une fin extraordinaire. J’ai adoré.

Renaud pour l'Epaule d'Orion - lien direct