Interviews

10 Questions à... Alexis Flamand

Ce n'est pas peu fier que je lance aujourd'hui une nouvelle rubrique sur Sanlioc's Chronicles. Désormais, en plus de vous proposer quelques critiques des oeuvres de différents supports que j'ai apprécié (ou pas, ça pourrait arriver ^^ ), vous pourrez découvrir ci-dessous la première interview recueillie sur ces pages.

Pour inaugurer cette rubrique, c'est Alexis Flamand, auteur du cycle d'Alamänder dont les deux premiers tomes, sont parus aux éditions de l'Homme Sans Nom, qui a très gentiment accepté de répondre à 10 petites questions. En remerciant Alexis de son temps et de sa gentillesse et en espérant que cette nouvelle rubrique vous plaira....

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(photo par Eillea Ticemon)

Bonjour Alexis tout d’abord merci beaucoup de m’accorder un peu de ton temps, et pour commencer, peux-tu te présenter et nous expliquer comment en es-tu arrivé à écrire un (et même plusieurs) livre ?

 Lorsqu’on commence à écrire, il y a souvent une conjonction de facteurs.

En premier lieu, je lisais énormément de romans de SFF quand j’étais jeune. Mon premier roman de ce type (Le Hobbit) fut une révélation, et je n’ai cessé d’en lire depuis. On peut dire que ce genre a fait de moi ce que je suis aujourd’hui : un adulte geek immature. Ces livres ont fait plus que nourrir mon imagination, ils m’ont permis de faire passer des périodes parfois difficiles de ma vie d’adolescent.

Me mettre à écrire, c’était en quelque sorte payer une partie de ma dette à tous ces auteurs qui m’ont émerveillé. C’était aussi avoir la joie de rejoindre cette grande famille qui m’a tant donné et me fait encore vibrer !

La seconde raison est que, il y a quelques années, j’ai commencé à pester lorsque je lisais les 4e de couverture des romans de Fantasy. J’ai eu l’impression, à tort ou à raison, que l’âge d’or de la Fantasy était derrière nous et qu’il s’agissait à présent non plus de proposer une vision d’auteur à des lecteurs, mais un produit formaté à destination d’une cible marketing. Où étaient passés l’imagination flamboyante d’un Zelazny, le talent de conteur et l’originalité d’un Vance, le sens de l’épopée et de l’humain d’un Leiber ?

Après le succès mérité de Tolkien, il me semblait que le plus important était à présent de fourguer un maximum d’orcs, d’elfes et de nains à destination d’un lectorat aussi peu respecté que l’est le genre lui-même. Pourquoi une telle stratégie commerciale ? Parce qu’il est toujours plus facile de vendre du pré-mâché que de l’original.

Je l’avoue, cet état d’esprit est encore le mien aujourd’hui. Même s’il existe des exceptions de grande qualité à ce phénomène, de manière générale, j’ai l’impression que les lecteurs sont gavés de sous-Tolkien, une soupe très digeste mais qui ne nourrit pas.

Face à cette irritation, je me suis dit que je n’avais qu’à arrêter de râler, me prendre par la main et proposer le genre de roman que j’aimerais lire.

Même si l’on peut discuter de ce ressenti négatif, je ne regrette pas de l’avoir éprouvé, tout simplement parce que c’est grâce à lui que je me suis lancé !

Comment est né l’univers d’Alamänder ? Je suis curieux de savoir comment on invente un monde aussi riche et on peut imaginer que certaines idées peuvent nous amener à connaître quelques anecdotes !

Désolé de revenir là-dessus, mais si le monde d’Alamänder est souvent décrit comme riche est touffu, c’est d’abord par comparaison avec les univers étriqués et interchangeables qui sont mis en avant aujourd’hui : au royaume des aveugles…

Alors que la science-fiction a gagné en maturité, en originalité, en qualité d’écriture, la Fantasy s’est resserrée autour de quelques thèmes de base et tourne en rond. C’est totalement paradoxal, car ce genre devrait au contraire être une porte vers l’imagination la plus débridée et les univers les plus originaux !

Si la SF avait suivi le même chemin que la Fantasy, en ce moment, nous lirions tous des histoires avec des vers géants sur une planète des sables, et l’on aurait du sous-Dune à toutes les sauces comme on a des dragons plein nos tiroirs…

Bien sûr, l’originalité existe en Fantasy, mais elle n’est pas mise en avant. Que les lecteurs se penchent sur les Neuf Princes d’Ambre, dans lequel on ne compte que des humains mais qui est d’une puissance d’évocation incroyable, ou sur le cycle de la Terre Mourante, et ils auront une idée plus précise de ce que devrait être la Fantasy.

Pour revenir à la question, l’univers d’Alamänder s’est construit peu à peu, pendant l’écriture. Quand j’ai débuté le premier chapitre, j’avais une idée très vague de là où j’allais. Ensuite, au fur et à mesure que les pages défilaient, j’ai peu à peu ajouté des éléments, des créatures, des fils d’intrigue, que je m’efforçais de rendre cohérents avec ce que j’avais déjà écrit. Ce souci d’homogénéité est évidemment devenu de plus en plus complexe à gérer au fur et à mesure des ajouts. Mais cette volonté de relier entre elles mes idées a constitué une sorte de ciment qui a, je pense, crédibilisé le tout et impulsé un élan.

Ensuite, vers le milieu du premier tome, j’ai laissé tomber ce processus erratique et j’ai passé plusieurs mois à développer le synopsis complet du cycle, avec ses révélations et ses rebondissements. Cela m’a permis de dégager une direction générale et de gagner encore en cohérence.

Sur la question de savoir comment on invente un monde, la réponse risque d’être décevante : si je le savais, je serais beaucoup plus riche que je ne le suis. David Lynch dit que les idées sont des papillons que l’on réussit parfois à attraper. King, lui, compare l’inspiration à une muse qui, sans sourciller, viendrait se soulager sur notre  tête. Même si la première image est beaucoup plus poétique que la seconde, il reste difficile de savoir d’où viennent les idées. L’instant d’avant, il n’y a rien, et puis on se dit d’un coup qu’un champ de blé carnivore ou un poulpe terrestre, ça pourrait être rien chouette. On part alors sur cette piste et on tente de lui donner corps.

D’une manière plus générale, le processus de l’inspiration et de la créativité sont avant tout des phénomènes inconscients. Je dis souvent que l’imagination est un recyclage de talents, avec un double sens pour le mot talent : d’une part, on recrache avec sa propre sensibilité les idées des autres, mais il faut aussi le faire avec talent, sans se contenter de recopier ce qui a déjà été fait. Cette vampirisation s’effectue dans tous les domaines, et un auteur peut aussi bien se nourrir de ce qu’il trouve dans le cinéma, les jeux vidéo, la littérature ou même la musique ! Un disque comme Amarok, de Mike Oldfield, est en lui-même un monde que l’on peut parcourir à loisir avec des sensations différentes que celles qu’on a l’habitude d’utiliser.

Côté anecdote, j’en ai une que je raconte régulièrement. Je déjeunais avec ma femme et nous parlions de toute autre chose qu’Alamänder lorsque celle-ci s’est soudain arrêtée de parler, m’a dévisagé et m’a dit de but en blanc : « mais en fait, Retzel, c’est toi ! »

Vous imaginez ma tête quand on connaît le personnage…

Peux-tu nous indiquer combien il y aura de tomes dans ce cycle et si d’autres cycles issus de cet univers sont en prévision ?

 En tant que lecteur, je n’apprécie pas du tout d’être mené en bateau dans des cycles interminables qui ne traduisent de la part de l’auteur que sa paresse ou son appât du gain. Pas question pour moi, dans ces conditions, de prendre en otage mes lecteurs avec dix ou quinze tomes, avec le risque potentiel que la saga ne se termine jamais ou qu’il y ait tellement de longueurs que le 15e tome finisse par tomber des mains.

Alamänder comptera donc 5 tomes, 6 maximum. L’intégralité de l’histoire est écrite, au moins dans ma tête. Elle a un début et une fin, et il serait inutile, voire irrespectueux de chercher à prolonger une saga qui se suffit à elle-même. Et lorsque l’histoire sera terminée, je partirai vers d’autres univers et d’autres intrigues. Il y en a tant ! Pourquoi continuer à maintenir un univers en respiration artificielle quand tant d’autres peuvent être créés ?

Le cycle d’Alamänder est vraiment un roman de Fantasy fantaisiste, on pourrait le rapprocher de l’humour d’un Terry Pratchett notamment. Est-ce une comparaison que tu entends régulièrement ? Est-ce une source d’inspiration ou pas du tout ? (oui je triche, il y a deux questions en une !)

 Je n’ai lu qu’un ou deux livres de Terry Pratchett. J’aime beaucoup son humour anglais, mais j’ai l’impression que cet humour est si ravageur qu’il mange parfois un peu l’histoire, ou que cette histoire n’est là que comme prétexte à lancer des blagues.

Ce que j’aimerais de mon côté, c’est que l’intrigue soit avant tout au centre du cycle. S’il y a de l’humour, c’est en surcouche mais celle-ci ne doit pas remplacer l’histoire.

Être comparé à Pratchett est un grand, grand honneur. Je pense que cette comparaison imméritée vient du fait qu’il y a tellement peu d’humour en Fantasy que lorsque vous en mettez dans vos romans, il est naturel d’être comparé à la référence du genre !

On peut d’ailleurs se demander pourquoi la Fantasy compte si peu d’humour dans ses pages. La réponse est simple : les héros en Fantasy traditionnelle sont des archétypes, des individus restés au premier degré du courage ou de la méchanceté. Ils sont peu nuancés, donc peu sujets à l’humour. L’héroïsme prime sur la légèreté, ce qui est bien dommage car l’un n’empêche pas l’autre. Quand on revoit une saga héroïque comme Star Wars, on se rend compte que ces films sont bourrés d’humour. Même chose pour Indiana Jones, qui alterne séquences comiques et dramatiques. Il est bien dommage que la Fantasy actuelle ne soit pas assez mûre pour rire d’elle-même. C’est un symptôme supplémentaire de la régression du genre dont je parlais précédemment. Mais encore une fois, ce ne fut pas toujours le cas ! Il suffit de se pencher sur des ouvrages tels que la saga de Cugel, de Jack Vance, ou le Cycle des Épées de Leiber pour s’en convaincre.

J’ai pu voir sur le ton site internet (http://alamander.fr/) qu’un jeu de rôle sur l’univers est à disposition, est-ce un loisir que tu pratiques encore régulièrement ? Envisages-tu de publier ce jeu chez un éditeur ?

Je joue aux jeux de rôle depuis 1984, j’ai commencé avec MEGA et je n’ai jamais arrêté depuis ! C’est dire si c’est un loisir qui me passionne. A mon sens, le jeu de rôle est la grande invention ludique du 20e siècle, avec le jeu vidéo. Peu d’autres activités font autant appel à l’imagination, à l’improvisation, au théâtre, à la discussion tout en proposant une immersion rarement rencontrée ailleurs.

En ce moment, je joue à DD4 en tant que maître de jeu et à Warhammer en tant que joueur, et je projette de faire jouer à l’Appel de Cthulhu dès que j’en aurai l’occasion.

Dans ces conditions, on peut se douter que créer un jeu de rôle dans l’univers d’Alamänder est le prolongement naturel des romans. Je n’ai pas encore commencé son écriture, bien que j’aie déjà mis en place une première version des règles sur le site. Lorsque le cycle sera bien avancé ou terminé, je commencerai l’écriture du jeu et le développement de l’univers au-delà des évènements décrits dans les romans. Je préfère en effet ne pas courir deux skorjs à la fois et débuter la rédaction du jeu lorsque je pourrai y consacrer plus de temps que je ne peux le faire maintenant. Je n’ai donc pas encore démarché les éditeurs de jeu de rôle, même si j’ai déjà reçu d’ores et déjà une proposition d’édition. Une chose est sûre : je suis très excité à l’idée de pouvoir un jour proposer le jeu de rôle Alamänder ! Le milieu du JDR en France est extrêmement riche, et les productions sont souvent de très grande qualité. J’en découvre tous les jours de nouvelles !

Une question que l’on se pose, lorsqu’on est écrivain, a-t-on encore le temps de lire d’autres romans ? D’ailleurs, quels sont tes derniers romans favoris ? (oui on prend des conseils de lecture chez Sanlioc’s Chronicles ! (et ça c’est de l’auto-promotion j’avoue !))

L’écriture me demande beaucoup de temps, aussi bien en écriture qu’en réécriture et relecture. Je n’ai donc guère le temps de lire et je le regrette vivement. Mon dernier roman est Le Fléau, de Stephen King. Je lis aussi de temps à autre des nouvelles de Jack Vance inédites.

Quant au dernier roman qui m’a marqué, il s’agit du couple Éon et Éternité, de Greg Bear. Ces deux romans de SF sont parfaitement stupéfiants, bien écrits, décrivant une technologie fabuleuse, avec des tonnes d’idées par page. Totalement ahurissants de maîtrise !

 J’ai eu la chance de te rencontrer lors du Comic-Con et j’ai pu constater que tu étais très abordable et sympathique (oui je sais utiliser la technique du brossage dans le sens du poil). Comment se passent les rencontres avec tes lecteurs ? Es-tu parvenu à rallier de nombreux fidèles ?

J’en ai autant à ton sujet (rien de tel qu’un petit retour de brosse pour se faire des copains).

Je suis avant tout un passionné de tout ce qui touche à l’imaginaire, je considère que pouvoir partager cette passion, entre autres sur les salons, est une sacrée chance et un privilège. Mes rencontres sont donc des échanges entre enthousiastes de la SFF ou entre geeks accros à la création.

Rallier de nombreux fidèles ? Cela m’ennuierait ! Je préfère me faire des potes dans les salons que des fans. Cela permet de ne pas créer un rapport auteur/lecteur, mais une relation de passionné de SFF à passionné de SFF, beaucoup plus intéressante de mon point de vue en ce qui concerne les échanges.

D’autre part, j’ai toujours pensé qu’il est toujours plus intéressant de se pencher sur les livres d’un auteur plutôt que sur celui-ci. Les risques d’être déçus sont beaucoup moins importants. J

  Il semblerait (si l’on en croit ton éditeur) que tu sois enseignant, avec un humour pareil les élèves ne doivent pas trop s’ennuyer je pense ? Tu ne pratiquerais pas un enrôlement de masses pour les armées de Kung-Bohr tout de même ? Une couverture d’espionnage de notre monde peut-être ?

 Je suis instituteur, en effet. Mais comme tout le monde, je joue plusieurs rôles sociaux dans ma vie. Il m’arrive bien sûr de plaisanter avec mes élèves, mais je suis surtout là pour faire en sorte que les apprentissages se fassent de la manière la plus efficace possible dans une ambiance chaleureuse mais sérieuse. Je suis donc très différent dans ma profession que je ne le suis dans la vie civile J, à tel point qu’un lecteur sur un salon aurait peut-être du mal à me reconnaître quand je suis en classe !

Quant à la domination du monde, c’est évidemment dans mes projets. Tu comprendras que je ne puisse en dire plus, je te renvoie donc à ma biographie des 4e de couverture : « Il écrit des romans réalistes sur sa galaxie, que les humains considèrent comme des récits imaginaires de SF ou de Fantasy. Il espère qu’un jour ses compatriotes tomberont sur l’un de ses écrits et viendront enfin coloniser notre ex-belle planète. »

Ne compte pas sur moi pour t’en dire plus, chien de terrien !

Quels sont tes autres projets en dehors du cycle d’Alamänder ? Peut-être un petit scoop pour les (encore bien trop rares) lecteurs du blog ???

Le cycle est pour le moment une priorité. Ensuite, direction le jeu de rôle. Enfin, quand la page Alamänder sera tournée, j’écrirai sur d’autres types d’univers, plutôt fantastiques ou SF cette fois, et plutôt jeunesse.

En dehors de l’écriture, je suis un passionné d’images de synthèse, j’écris entre autres des revues techniques sur des logiciels 3D. Je suis aussi l’un des administrateurs du site www.3Dsaloon.fr, un repaire de passionnés de graphisme. J’aimerais donc plus tard créer d’autres images 3D car j’adore ça ! C’est pour cette raison qu’Alexandre Dainche et Magali Villeneuve m’ont offert de participer à un encart d’illustrations sur leur roman, La Dernière Terre, à paraître bientôt chez L’Homme Sans Nom, ma maison d’édition. C’est là un bien grand honneur… et un petit scoop pour les lecteurs de Sanlioc ! J

Le mot de la fin ?

J’aimerais profiter de cette conclusion pour saluer un auteur qui nous a récemment quittés, Roland C. Wagner. Cet hommage peut paraître étrange quand on sait que je n’ai jamais lu de roman de cet écrivain. Pourtant, il a joué un rôle non négligeable dans mes lectures, tout simplement parce qu’il tenait, il y a de nombreuses années de cela, une chronique SFF dans la première génération du magazine Casus Belli, bien connu des rôlistes. Ses « inspi-bouquins » étaient de longues chroniques détaillées, très bien écrites, qui ouvraient des horizons à l’heure où internet n’existait pas. Je lui dois quelques-unes de mes plus belles lectures, et il est certain qu’il a de manière indirecte permis de me fabriquer en tant que lecteur, donc en tant qu’auteur. Quelque doit l’endroit où il réside actuellement, je tenais à l’en remercier !

Enfin, je te remercie chaleureusement de m’avoir permis de m’étaler dans tes colonnes et je te souhaite de très, très nombreux lecteurs !

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